Un film que l'on voit, dont on parle, à propos duquel on écrit.

En Algérie et en France ce film a déjà fait couler beaucoup d'encre. Il interroge les différentes représentations que chacun peut se faire de la guerre d'indépendance algérienne.

13 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour,

J’ai beaucoup apprécié la qualité du débat d'hier : les interventions étaient riches et variées.

J’ai mesuré, à quel point une démarche personnelle qui pose aussi un certain nombre de questions historiques, et ce dans la nuance et la complexité, dérange !! Les gens voudraient toujours que le réalisateur se blinde totalement des éventuelles interprétations sauvages non politiquement correctes, et fassent le contre-champs de toute thèse, ou question posée au cas où...

Il est intéressant de noter que chaque spectateur réagit selon plusieurs modes de réceptions : sa grille de lecture propre, en fonction de son vécu personnel, et de son groupe d’appartenance (gauche anti-colonialiste, militant anti-raciste, sympathisant UMP, codes culturels algériens, pieds-noirs Algérie Française ou pas etc...) Mais aussi en fonction de l’ambiance politico-médiatique du moment, et de la peur de perdre un combat idéologique face à Sarko, et de renforcer le côté “nostalgiques de l’Algérie coloniale”.

D’autant plus qu’aujourd’hui, souffle un fort vent de révisionnisme... et que les clivages gauche/droite se radicalisent...

Anonyme a dit…

Bonjour,
Texte à lire dans le numéro 7 daté de ce mois de février sur : http://lechodelamare.net/mare.htm
Cordialement

Anonyme a dit…

Cher Jean-Pierre, hier je n’ai pas eu le temps de t’attendre pour te féliciter – tu étais très entouré -, te dire toute l’émotion que j’ai ressentie, et je ne suis pas le seul.

Tu as écrit un magnifique film qui n’est pas seulement un récit ou un témoignage, mais aussi et surtout un film, au sens matériel du terme : des images, un son, un rythme, des voix qui donnent une puissance d’évocation incomparable, absolument en phase avec le propos même du film. Ce qui est rare et précieux.

Notamment – mais pas seulement - la séquence oranaise et les dernières images –ces chants espagnols que fredonnait mon père l’andalou – du haut de Santa Cruz, face à l’Espagne dont on pouvait, disait-on, par beau temps, apercevoir les rives.

Tu sais, je suis oranais et donc… Mais les copains qui étaient près de moi, qui ne sont pas du même coin, en disent tout autant.

Le court débat qui a suivi a montré, encore une fois, que ce qui n’est pas interprétable par les récits préconstitués (émancipation, colonialisme, etc.) n’est que rarement entendu, et ton film concourt à donner une voix à ce (ceux) que l’histoire téléologique a tenté d’effacer, une voix qui insiste dans ton beau film.

J’espère que nous aurons bientôt l’occasion de parler de tout cela. Amitiés.

Anonyme a dit…

Appréciez cette vidéo rare d'El Djazair (Alger) filmée en 1896.
On aperçoit sur le film la rue Bab el Oued,
la place du gouvernement (place des martyrs), djamaâ eldjedid, bd de la République (bd Ché guevara),
le port et les quais d'alger et cela il y a plus d'un siécle. Fond sonore: feu Rachid Ksentini qui chante son titre "Achtah achtah ya loulou"

http://www.dailymotion.com/video/x11mo5_alger-1896-video-rar

Anonyme a dit…

Votre film, ce travail, m'a profondément ému, bouleversé

Ce film pose de mon point de vue, les questions multiples de la censure - tant psychique que politique, de la mémoire, des tabous et refoulements , de la vérité historique, de la transmission des paroles et des langues (sublime cette fin où des vieux algériens d'Oran chantent en espagnol de nombreuses chansons, notamment Besame mucho, Moi l'Émigrant), l'intrication des langues française et arabe dans les paroles des algériens, mais aussi en chacun d'entre nous, et encore la
question de la responsabilité individuelle dans toute action collective et armée

ou pas d'ailleurs, la question du recours à la violence qui répond toujours n'est ce pas ... à la violence de l'autre, de l'État, du Colonialisme, de l'impérialisme, du Capitalisme, de l'Amérique, du Sionisme, de l'Islamisme.... (cf. la question de la fin et des moyens, les poseurs de bombes, les égorgeurs, les tortionnaires et les exécutions sommaires faites par les paras et l'armée française, tel que la pose Camus avec Les justes mis en scène au théâtre d'Oran !).

Alors est ce cette pulsion de destruction, pulsion de mort conceptualisé par Freud qui est indissociable de l'humain, qui nous entraîne inéluctablement dans ce "Malaise dans la Culture" ?

Heureusement que la pulsion de vie est là aussi, telle qu'elle apparaît chez Katiba, chez ces oranais espagnolisants, et cette magnifique femme qui vient clôturer le film en chantant "l'émigrant", et l'émotion de Tchitchi dans son pauvre fauteuil roulant.

J'ai aussi été très touché par le courage de ces gens qui parlent en Algérie, à visage découvert, face à la caméra, leurs hésitations, leur désir farouche de savoir ce qui s'est passé, leurs paroles et leurs discours libres pour la plupart, authentiques et sincères, leur recherches tenaces, leurs émotions, Par votre courage et votre détermination d'aller filmer, montrer ce film en Algérie.

C'est vraiment faire oeuvre de transmission, de réconciliation possible. Oui votre film esquisse quelques lueurs d'espoir quant aux rencontres possibles, mais révèle aussi de terribles paroles : l'antisémitisme exprimé à Constantine, par le gardien du Hammam. Ah ! la question de
"l'odeur" ! C'est toujours l'autre dont on sent l'odeur, le noir, l'arabe, le juif, le portugais avec sa friture etc. Voilà, on ne sort pas indemne de votre film, il est l'occasion de belles rencontres.

Anonyme a dit…

Une vérité qui fait mal est préférable à un mensonge qui réjouit. Proverbe Kabyle

Anonyme a dit…

Merci d'exister et de faire comprendre à ces superprocéduriers, aux as de l'anathème qui continuent d'agir dans l'ombre, croyant qu'ils peuvent cacher le soleil avec leurs tamis que nous somme là. Et nous serons plus que jamais présents pour leur donner du boulot et quoi qu'il advienne ils n'auront pas le dernier mot.

olivier a dit…

Ce film magnifique est l'un des événements majeurs de ces dernières décennies.
Plus que toutes les actions politiques, il contribue à l'apaisement des traumatismes subis des 2 côtés de la Méditerranée.
C'est une action humanitaire...

Olivier

hafid91 a dit…

Comme il a été dit lors d'un débat à Paris, les relations France Algérie ont toujours suscité de la passion.
Le film de J.P. Lledo le confirme à sa manière.Il ne laisse pas indifférent, d'un côté comme d'un autre. Il ne peut lui être reproché de ne pas avoir fait un tour d'horizon de l'histoire mouvementé des deux pays.Il reste beaucoup à écrire et à faire ...connaitre.
La "purge" une fois faite , peut être sera il possible de comprendre.

Anonyme a dit…

Cher Jean-Pierre

Juste quelques réflexions après avoir vu ton film.

Je voudrais d'abord, après le deuxième visionnage, te confirmer ma première impression, c'est vraiment un bon film. J'ai été autant accroché que la première fois. Pas une seule longueur. Chaque moment, cinématographiquement, nécessaire. J'ai été impressionné par l'implication des interviewés/intervieweurs, qui en deviennent des personnages de drame. J'aimerais particulièrement comprendre comment tu as réussi ça. J'ai aimé aussi l'affection que tu réussis à communiquer, malgré la dureté des propos, à l'égard de certains des personnages.

Pour le reste, ton film ose poser deux questions qui n'ont jamais été posées publiquement (à ma connaissance) par des Algériens à propos de la lutte de libération nationale.

- la légitimité de la violence d'un peuple opprimé pour se libérer de l'oppression justifie-t-elle toutes les violences ?
- le mouvement national algérien a-t-il une part de responsabilité, et quelle part, dans l'approfondissement du fossé intercommunautaire induit par le système colonial, puis dans la rupture et le départ des Pieds Noirs ?

Je ne suis pas historien, de plus je n'ai pas, comme toi, travaillé particulièrement ces questions. C'est donc, sans aucune certitude, avec des questionnements et même des réserves que je reçois, pas tant ton film, que certains de tes développements lors des deux débats auxquels j'ai assisté. Je ne dirai donc rien sur le fond concernant ces deux questions. Je vais essayer de lire ce qu'on peut lire à ce sujet, sachant comme tu l'as dit, qu'il y a peu de choses d'écrites et que les mémoires encore vivantes, pourtant essentielles pour connaître ce qui s'est passé, sont trop peu exploitées. Pour cela aussi ton film est salutaire, donner envie de réellement connaître ce passé tellement manipulé, dont pour une part de nous-même, nous sommes issus.

Je me limiterai donc à ceci : ton film est dur et j'ai, à plusieurs moments, éprouvé de la gêne.

Notamment face à l'affirmation revendiquée de violences des Arabes/musulmans à l'encontre des Européens/chrétiens. Mais aussi devant cette affirmation d'antisémitisme sans complexe par cette espèce de commissaire politique à Constantine.

Je me suis posé la question du pourquoi de cette gêne. Est-ce parce que je me sens partie prenante de cette violence, en ce sens où je l'ai moi-même portée, et peut-être même assumée en
son temps ? De la même façon me suis-je senti impliqué du fait de l'antisémitisme bon enfant de ma famille (un peu comme l'employé du hammam) et de l'antisémitisme plus douteux de beaucoup d'Algériens que j'ai côtoyés dans ma vie sociale ?

Mais je voudrais pousser la question plus loin. Je me demande si cette gêne venait de la révélation, de la découverte de la réalité des faits révélés que j'ignorais, en partie, ou du seul fait qu'ils soient rendus publics. La gêne vient-elle du fait que je doive assumer cela face à moi-même ou du fait que je doive le faire devant l'autre ? L'autre, c'est-à-dire ce qui reste encore pour beaucoup d'Algériens la métropole culturelle, le lieu intellectuel référent, la France ?

La question que ton film m'amène à poser, c'est, si en tant qu'Algérien, je parviens à regarder en moi-même sans passer par le miroir de l'autre, est-ce que je réussis à m'émanciper du jugement indirect qu'il porte sur moi, sur nous, à travers mon propre regard ?

Partant de là, une part des polémiques que j'ai pu lire et les réactions que j'ai pu recueillir ici de ceux qui ont vu le film, ne viennent-elles pas de ce biais ? La question ne vaut-elle pas y compris quand ces polémiques sont suscitées par les autorités algériennes. Je ne crois pas qu'en Algérie on puisse y échapper mais il me semble utile de prendre conscience de cela aussi.

En disant cela je ne minimise pas la réalité de la bataille autour de la mémoire, ni le danger d'une utilisation révisionniste de
ces « histoires à ne pas dire » par une partie de la droite française. Je crois d'ailleurs qu'il est presque inévitable qu'elles le soient.

Mais ma conviction c'est que refuser d'affronter cette part d'ombre de notre passé par peur de cette utilisation, nous enferme dans ce que nous croyons fuir. Cette posture anticolonialiste me semble de fait une attitude néo- colonisée. Ne pas s'émanciper du regard de l'autre c'est rester prisonnier de cette relation.

Il est vrai que cette approche est faussée par le fait même que ton film est interdit en Algérie alors qu'il ne peut prendre tout son sens qu'aux yeux du public algérien.

Pour conclure, sur le fond de ta problématique, la question de la violence que tu te poses, et que
tu poses aux Algériens en tant qu'Algérien, ne concerne pas qu'eux. Elle est universelle et c'est en l'affirmant en tant que question universelle qu'elle devient assumable par moi et peut-être audible pour beaucoup d'autres.

Voila ! C'est peu de chose et c'est écrit rapidement.

Fraternellement.

Djamel

Anonyme a dit…

Encore sous le choc de votre film et du débat qui a eu lieu le 2 avril 2008 à Chateau-Arnoux (04), je ne peux pas m'empêcher, une nouvelle fois, de vous féliciter pour votre excellent film qui aborde entre autres les problèmes essentiels de l'humanisme.

Je suis né en 1947 à ANNABA d'une famille de "petits Blancs" napolitano-sardo-malto-siciliano-française!! (après naturalisation). J'ai vécu mon enfance dans une maison cosmopolite du quartier populaire de la cité Ausas, dont je garde les souvenirs émus de fraternité, solidarité et d'échanges culturels.

La guerre a fait irruption dans notre famille le 17 Octobre 1955 par l'assassinat de mon grand-père maternel, tâcheron maçon, lors de l'attaque d'un car.
J'ai vécu le 20 Août 1955 à Oued-Zenati (Constantinois) où mon père était devenu gendarme après avoir été ouvrier agricole et chauffeur-livreur. Il est mort en 2001 en prononçant ses dernières paroles en arabe.
Ma grand-mère maternelle, analphabète, est morte l'an dernier à 99 ans, elle exprimait mieux sa pensée en arabe qu'en français qu'elle maîtrisait très mal.
De mes origines diverses et variées, je me suis toujours considéré comme algéro-français ou franco-algérien suivant les moments.

DES HISTOIRES A NE PAS DIRE, ma famille en regorge et je souhaiterais qu'il en reste une trace : mes grand-parents, mon père sont partis en nous laissant des bribes d'histoires, de faits qui pourraient intéresser des étudiants anthropologues ou historiens.
Les historiens comme Mohamed HARBI, Benjamin STORA et autres ; les anthropologues comme Abderrahmane MOUSSAOUI ont, quant à eux, analysé et synthétisé l'essentiel.
Il n'en reste pas moins que "nos petites histoires à ne pas dire" peuvent contribuer à la connaissance et à la compréhension de ce qui s'est passé en Algérie; et de permettre peut-être, à notre humble échelle, à la nécessaire réconciliation algéro-française.

Pour ce qui est du racisme, de l'antisémitisme, de la violence et du terrorisme (thème central de votre film), je pense que des deux rives de la Méditerranée, un énorme travail de mémoire et d'analyse sans complaisance est nécessaire, vous en êtes un excellent artisan.
Les responsabilités du colonialisme sont immenses, immorales, ineffaçables. Par l'exploitation économique, la ségrégation, le sous-développement, les crimes contre l'humanité, le colonialisme a été le principal briseur de
" REVES DE FRATERNITE ".
Mais, depuis les années 90, le problème a pris une dimension nouvelle. Il est devenu, à mon avis, essentiellement algéro-algérien, et une analyse complexe de l'histoire est nécessaire.
Pour la compréhension, ne faudrait-il pas rechercher des pistes d'explications entre autre dans les faits, les options, les circonstances suivantes ?
- Pendant la guerre de libération : le prima du militaire sur le politique - l'élimination des intellectuels et du M N A - du principe du djihad comme moyen de libération nationale - de la libération par la terreur - de la non-séparation de l'Etat et de la religion.
- Des conséquences de la conquête et de la colonisation arabo-islamique de la fin du VII siècle.
- Du fait que l'islam n'a pas encore connu dans son histoire un grand mouvement de réforme comme certaines autres religions.

Je m'excuse d'avoir été aussi long... mais, nous autres Méditerranéens, ne savons pas être brefs et modérés... Et pourtant que d'HISTOIRES NON DITES...

Par avance, merci pour votre prochain film sur l'Algérie et au plaisir de vous revoir.

Fraternellement à vous.
Jean-Marc

Anonyme a dit…

Merci, M. Lledo pour ce film, projeté à Vitrolles, il permet de présenter, comme vous le disiez, la violence de la violence. Violence qui s'accroit chaque jour davantage dans ce monde qui est le nôtre et dont il a tant de mal à se défaire.
Puissent les images et surtout les textes ou paroles prononcés dans votre film, permettre une compréhension de cette période de notre Histoire un peu plus proche de la réalité et puissent certains "revoir leur copie" sur les petits P.N. que nous étions, nous qui avons subi plus que nous avons agi quant au déracinement de notre pays natal.
J'ai parcouru divers sites évoquant votre film et lu certains commentaires, comme celui de M. Stora ; chaque pied-noir, comme je le dis souvent autour de moi, a son vécu, son passé, son approche ou ses idées de l'histoire de l'Algérie; il est donc difficile d'englober toutes ces perceptions dans un même moule ; votre film a le mérite d'apporter une version particulière (ou dérangeante??) de ce qu'aurait pu devenir l'Algérie et de ce qu'elle est devenue. J'apprécie votre volonté de tenter de démontrer les possibilités d'une Algérie multiéthnique, à une époque où tout était encore envisageable; mais les impératifs ou les ambitions de certains dirigeants étaient différents. Tel a été notre destin...
L'Histoire les jugera un jour !!!
Sachez que je vivais donc à la Marine, rue d'Orléans où je suis né en 1942 ; mes parents tenaient un bar, fréquenté par de nombreux espagnols. De mon enfance et mon adolescence, je retiendrai deux institutions de notre quartier, l'Ecole Emerat et le Patronage des Salésiens, dans lesquelles certaines valeurs nous étaient inculquées : le respect, l'obéissance, la générosité, la fraternité, etc... Comme la plupart des jeunes de ma génération, ce fut une période heureuse jusqu'en 1961, car la Marine n'a jamais connu d'évènements tragiques. J'ai connu Tchi-tchi, qui travaillait à la boulangerie de Mme Ruiz, située à 30 m de la maison, de même que la famille Boukouya, de la rue de l'Arsenal et en particulier les jumeaux nés en 41 ; il est vrai que les familles musulmanes n'étaient pas trop nombreuses côté "Marine" par rapport à la Calère ou place de la Perle.
A ce titre, je vous dirai que je suis retourné à Oran en 1982, invité par une fille Boukouya, mariée à M. Bilekdar, joueur de l'équipe de basket des Spartiates; durant 12 jours, j'ai séjourné chez eux à Bou-Sfer et me rendais chaque jour sur Oran afin de retrouver ma ville, ma rue, ma maison (elle était encore debout), mon école (toujours en place), mon lycée (Lamoricière), etc...j J'ai écrit un jour quelques lignes sur mon quartier et je terminai ma prose en disant :
Je suis revenu à Oran; la Marine est presque démolie, j'ai marché dans les rues d'Orléans, Arsenal, place de la République, etc... Un jeune Algérien, me croisant, m'apostropha : tu es d'ici, toi ?
- Comment l'as-tu remarqué?- Tu sais où tu vas, tu regardes ce que tu veux regarder - puis il s'éloigna. Resté seul, je réfléchis. Il avait raison, certes, mais je me suis senti pourtant comme un étranger.
Aujourd'hui, seul Dieu sait si j'y retournerai...
J. B.

Anonyme a dit…

Jean-Pierre, c'est bien.

C'est bien, c'est courageux. Tu évolues, tu t'engages où personne n'était encore allé. Où personne n'avait osé aller. Toi, tu fonces. Armé de ton cerveau et de ta caméra, sans parti pris, sans concession, tu es celui qui cherche, celui qui veut, qui doit savoir, et qui, inlassablement, demande « pourquoi ? ». Tu demandes et, pour la première fois, on ose libérer l'innommable, le monstrueux, la part atroce de ce qui s'appelle pourtant « l'humanité ». Mais, contrairement à d'autres, largement honorés, ton intention n'est pas la malsaine jubilation du chasseur à la recherche de nouvelles sensations, non, pas du tout, tu cherches avant qu'il ne soit trop tard. Tu cherches, et tu ne manques pas d'évoquer aussi le gouffre des années noires. Gouffre dont on s'interroge nécessairement sur son lien avec la période précédente.

Tu cherches et, tu fais de nous des voyants.

Aziz, sur les traces de cet oncle chéri, à la recherche de quelque chose qu'il ne trouve pas et, tant d'années après, terrassé par le chagrin, quel portrait, cet Aziz-Antigone, comme un double de toi, Jean-Pierre, tant vos quêtes se confondent, l'un creusant la terre de ses mains nues, l'autre interrogeant le monde avec sa caméra !

Louisette ouvrant ses volets, Louisette qui, captive, aspirait si ardemment à briser ses chaînes, contrainte aujourd'hui à s'enclore de nouveaux barreaux. Louisette et Katiba, Katiba et Louisette, regard perçant, exacerbé d'intelligence, maniant la langue française avec la superbe aisance des femmes pétries de la lumière de l'école de Jules Ferry. Louisette, et cette réplique cinglante à la question étroite, petite, minuscule, que lui pose la voix mesquine de la tradition. Louisette grande, altière, magnifique, et qui soudain prend conscience de son lapsus. Pourquoi, oui, pourquoi sa langue a-t-elle fourché ? Pourquoi à propos de sa compagne de captivité Anna Grekki, la grande poétesse algérienne, pourquoi a-t-elle dit qu'elle était française ? Henry Maillot, Fernand Yveton et les autres, Maurice Audin et tous les autres, porteurs d'un nom français et combattants de la première heure pour l'indépendance, leur refuserait-on le droit de dormir en paix, Algériens ?

Constantine, ah Constantine, et celui qui, tant d'années APRES, n'ose toujours pas et, au dernier moment, se rétracte. Mais ce rectangle, double géométrie rectiligne du père et du fils, ne cesse de danser dans nos têtes. Comme danse dans nos têtes le souvenir de Cheikh Raymond, pape de la musique andalouse, virtuose au grand cœur et pourtant assassiné, dont le portrait ne figure pas sur la fresque des musiciens. Oui, aujourd'hui encore, Constantine aime sa musique car, comme dirait Django « Tous les musiciens sont du même village Ils habitent un pays sans frontière et sans âge, Et la musique est leur pays ».

Avant qu'il ne soit trop tard, ces témoins, tous ces improbables témoins. Ces femmes arabes qui chantent en espagnol, et dont il est jusqu'aux mimiques pour perpétuer l'esprit d'une communauté envolée, ce cireur de chaussures devenu chanteur de rock et champion de be-bop, qui évoque, retrouve sa jeunesse l'instant d'une chanson, le temps de mesurer la chaleur de tout ce qui a disparu, et de disparaître à son tour. Incroyables témoignages d'une histoire tellement méconnue, et qui comportait, comme ton film, sa part de grandeur et de beauté, avant de basculer dans l'horrible.

Car ici il n'y a pas de saints, seulement des martyrs. Il y a les gens et cette chose abominable : la guerre civile.

GENEVIEVE